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La Clinique Solution Sport identifie les lacunes du système de sport sécuritaire pour les athlètes de niveau provincial ou territorial

Par : Amanda Fowler et Safiya Nanji

Le blogue de la Solution Sport est rédigé par des étudiants en droit et a pour but de fournir des informations de base et les perspectives de l’équipe sur des questions d’actualité. Toutefois, le blogue n’a pas pour but de fournir des conseils ou des avis juridiques. Les athlètes qui ont besoin d’aide doivent communiquer directement avec la clinique à l’adresse [email protected]

Au cours de la dernière année, le Canada a été le théâtre de scandales concernant des abus très médiatisés dans de nombreux sports, tels que Hockey Canada, Gymnastique Canada, Boxe Canada et Bobsleigh Canada Skeleton

Ces scandales ont mis en lumière des entraîneurs abusifs, une mauvaise gestion institutionnelle et une absence générale de réaction appropriée. Des athlètes de tous les niveaux sportifs se sont confiés sans crainte et ont raconté des histoires personnelles d’abus, et certains ont déposé des plaintes officielles. Par conséquent, la ministre des Sports de l’époque, Pascale St-Onge, a pris des mesures. 1 La ministre St-Onge a supervisé la mise en œuvre de Sport Sans Abus, le nouveau système indépendant du Canada pour prévenir et contrer la maltraitance dans le sport. Il convient toutefois de souligner que ce nouveau système ne s’adresse pas à la plupart des athlètes canadiens. Parmi ceux qui ne sont pas couverts, les plus notables sont les athlètes de niveau provincial ou territorial.

Aperçu de Sport Sans Abus

Avant d’expliquer comment et pourquoi les athlètes provinciaux et territoriaux tombent dans une zone grise, il est important d’avoir une compréhension générale du cadre de Sport Sans Abus. Sport Sans Abus est composé de trois entités : 

1) le Bureau du Commissaire à l’intégrité dans le sport (« BCIS »)

2) le Conseil des sanctions en matière de maltraitance dans le sport (« CSMS ») 

3) le Directeur des sanctions et des résultats (« DSR »). 

Le BCIS est un organisme tiers indépendant chargé d’administrer le Code universel de conduite pour prévenir et contrer la maltraitance dans le sport (CCUMS) à l’aide de processus tenant compte des traumatismes pour les athlètes nationaux et les organismes nationaux de sport (ONS) financés par le gouvernement fédéral 2. Le CCUMS couvre diverses formes de maltraitance : harcèlement, maltraitance psychologique, maltraitance physique, maltraitance sexuelle, manipulation psychologique (conditionnement), transgression des limites, discrimination, omission de signaler et complicité dans l’un des actes susmentionnés.

Le BCIS reçoit des préoccupations de deux manières : 1) des participants individuels déposent des plaintes pour des violations présumées du CCUMS, et 2) des individus ou des organismes demandent une évaluation du milieu sportif pour enquêter sur des problèmes systémiques liés aux CCUMS dans un sport particulier. Une fois les plaintes examinées, le DSR prend des décisions concernant les mesures provisoires et a le pouvoir d’imposer des sanctions aux signataires du programme. Le CSMS est directement responsable devant la communauté sportive canadienne de la discipline et des sanctions. La CSMS supervise les activités du DSR et veille à ce que le DSR applique le CCUMS de manière équitable et cohérente, protège et promeut l’intérêt public, et assure un processus disciplinaire efficace et efficient. Bien que chacun de ces organes soit indépendant, leur objectif est de travailler ensemble pour assurer la protection des athlètes.

Les athlètes de niveau provincial ou territorial ne sont pas couverts par le programme Sport Sans Abus

En 2022, le gouvernement fédéral a engagé 13,8 millions de dollars pour mettre en place le BCIS en tant que nouveau mécanisme indépendant en matière de sport sécuritaire. 3 Les notes budgétaires énoncent que « des débutants aux athlètes olympiques, tous les athlètes au Canada devraient être à l’abri des abus, du harcèlement et des mauvais traitements. » 4 Les notes énoncent également que, pour le gouvernement fédéral, « s’assurer que nos institutions sportives à travers le pays sont responsables du traitement de leurs athlètes est essentiel pour bâtir un système sportif qui favorise la sécurité et le bien-être des athlètes canadiens. » 5

Cependant, à quelques exceptions près, le BCIS ne s’adresse qu’aux athlètes de niveau national, soit une petite fraction des athlètes du système sportif canadien. 6 Sport Sans Abus est exploité en fonction d’un mandat fédéral et dispose d’une base limitée de compétence contractuelle. En effet, il ne peut « faire que ce pour quoi il est financé et ne peut exécuter que le mandat qui lui a été confié à ce moment précis. » 7

Sport Canada exige des ONS qu’ils publient une politique en matière de sport sécuritaire, qu’ils adoptent le CCUMS et qu’ils adhèrent au BCIS, faute de quoi ils se verront retirer leur financement, entre autres conséquences. 8 Aucune exigence de ce type n’est imposée aux organismes provinciaux et territoriaux de sport (OPTS). Ils peuvent adhérer au BCIS s’ils le souhaitent. En mars 2024, un seul ONS – Volleyball Canada – est un signataire du programme du BCIS offrant ses services aux niveaux national, provincial/territorial et club/local. Même s’il existe une compétence appropriée pour une question de sport sécuritaire provinciale ou territoriale, le BCIS et le Centre de règlement des différends sportifs du Canada (CRDSC) peuvent toujours exercer leur pouvoir discrétionnaire pour rejeter le cas.

Notamment, le BCIS a conclu sa première année d’activité. Sur les 193 plaintes reçues par le BCIS du 1er juin 2022 et au 30 juin 2023, seules 66 d’entre elles, soit 34 %, ont été jugées recevables pour enquête. 9 Le BCIS a renvoyé plus de 50 % des plaintes à d’autres organismes, y compris des organismes provinciaux et territoriaux de sport. Cela montre que le mandat actuel du BCIS est limité et que les enjeux liés au sport sécuritaire sont omniprésents à tous les niveaux du sport.

Le manque d’harmonisation et les statistiques du BCIS suggèrent que les athlètes provinciaux et territoriaux ne sont pas en mesure d’être protégés tant qu’ils ne sont pas devenus des athlètes nationaux. Cela peut être problématique car les athlètes, les entraîneurs et les dirigeants se déplacent au sein des organismes provinciaux et territoriaux de sport et des organismes nationaux de sport. Sans recours approprié pour les athlètes sous la forme de politiques, de procédures et de sanctions cohérentes en matière de sport sécuritaire aux deux niveaux de sport, il est difficile de tenir les contrevenants au niveau provincial ou territorial responsables des mauvais traitements infligés aux athlètes, et les athlètes sont piégés dans des milieux abusifs jusqu’à ce qu’ils fassent partie de l’équipe nationale.

Obstacles au signalement des plaintes liées au sport sécuritaire au niveau provincial ou territorial

À la Clinique Solution Sport, nous avons constaté certains des obstacles auxquels se heurtent les athlètes provinciaux et territoriaux qui ont déposé des plaintes liées au sport sécuritaire :

  1. Les OPTS retardent intentionnellement de plusieurs mois l’acceptation d’une plainte, l’émission d’un rapport d’enquête ou la programmation d’une audience;
  2. Les OPTS trouvent des occasions d’invoquer une violation de la confidentialité par l’athlète afin de faire annuler la plainte;
  3. Les OPTS ont mené leur propre processus interne de sport sécuritaire tout en étant en conflit d’intérêt;
  4. Le processus de sport sécuritaire ne tient pas compte des traumatismes;
  5. Les OPTS nomment des personnes n’ayant pas d’expérience préalable en matière de jugement au panel d’arbitrage malgré les objections; 
  6. Aucun recours pour les athlètes dont l’OPTS a violé l’équité procédurale au cours du processus de sport sécuritaire;
  7. Les appels sont renvoyés à l’OPTS pour traitement ultérieur car il n’y a pas de droit d’appel auprès d’un organisme indépendant comme le BCIS ou le CRDSC;
  8. Les décisions sont arbitraires et ne s’appuient sur aucune « raison » pour justifier la sanction décidée; et
  9. Les OPTS ne sont pas tenus de publier les sanctions, ce qui est une question de sécurité publique pour les personnes susceptibles d’interagir avec l’entraîneur sanctionné dans l’avenir.


À notre connaissance, de tels problèmes sont réguliers et constants pour les athlètes provinciaux et territoriaux qui déposent des plaintes liées au sport sécuritaire. C’est inacceptable.

Conclusion et recommandations

Les gouvernements provinciaux et territoriaux doivent clairement intervenir dans les processus de sport sécuritaire des OPTS. Ils peuvent commencer à combler le fossé en obligeant les OPTS à adopter le CCUMS et à adhérer au BCIS. Un mécanisme cohérent, équitable et responsable en matière de sport sécuritaire, desservant à la fois les niveaux provinciaux/territoriaux et nationaux du sport, est nécessaire pour remédier aux problèmes énumérés ci-dessus (et à d’autres). Pour ce faire, une collaboration et un financement entre les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux, les organismes nationaux et provinciaux/territoriaux de sport et, surtout, la participation des athlètes provinciaux et territoriaux peuvent s’avérer nécessaires.

Citations

  1. Le sport sécuritaire fait référence à un cadre de politiques, de pratiques et de protocoles conçus pour prévenir et contrer toutes les formes de maltraitance des athlètes.
  2. Sport Sans Abus Bureau du Commissaire à l’intégrité dans le sport, « À propos » (2022), en ligne : <https://commissaireintegritesport.ca/a_propos>.
  3. Donna Spencer, « National sport organizations face safe sport deadline, risk losing funding » (30 mars 2023), en ligne : CBC <https://www.cbc.ca/sports/national-sport-organizations-safe-sport-deadline-risk-losing-funding-1.6796933#:~:text=%22We%20expect%20all%20national%20sport,in%20just%20a%20few%20months>.
  4. Ibid.
  5. Ibid.
  6. Mia Rabson, « Sport Minister Pascale St-Onge urges provinces to accelerate efforts to make sports safer for athletes » (31 janvier 2023), en ligne : Toronto Star <https://www.thestar.com/politics/2023/01/31/st-onge-urges-provinces-to-accelerate-efforts-to-make-sports-safer-for-athletes.html>
  7. Marie-Claude Asselin, Mémoire adressé au Comité permanent de la condition féminine concernant la participation des femmes et des filles dans le sport (22 décembre 2022), en ligne : Chambre des communes – Comité Femmes et filles dans le sport <https://www.ourcommons.ca/Content/Committee/441/FEWO/Brief/BR12176922/br-external/SportDisputeResolutionCentreOfCanada-Rev-10721804-f.pdf> à 8.
  8. Ibid.
  9. David Baxter, « Sports integrity comissioner says only 34% complaints admissible in 1st annual report » (3 août 2023), en ligne : Global News < https://globalnews.ca/news/9874234/sport-integrity-commissioner-annual-r>